Je ne suis pas la reine du monde, juste celle de Saba
Ma maison dans les bois prend forme dans ma tête. Deux mois et puis voilà. Des fenêtres en arc de cercle, des tuiles à l’ancienne, un four à pain, une salle-de-bain de 2m2 oui, mais à l’italienne et avec de la mosaïque, une grande grande grande cheminée, des carreaux multicolores un peu cassés mais si charmants. Et des tomettes. Celles de mon enfance, hexagonales et couleur brique, celles que Papou détestait tant et recouvrait avec du lino de mauvais goût. Je les aimais bien, moi, froides compagnes de mes insomnies. Des pins, un vieux puits, la fosse aux serpents, les canards en plâtre, une voisine envahissante, peut-être bientôt une ponette. Une chèvre. Et un merveilleux petit garçon.
J’avais peur de ne pas savoir aimer mon enfant comme j’aime ma sœur. Ma force, mes larmes, mon cœur. Une fille tellement extraordinaire. Elle est drôle et touchante. Fragile et impassible. Mes mots sont si vains, je ne sais pas parler d’elle. Elle garde sa place, c’est tout. Ma mère m’avait parlé du concept du cœur élastique. Véridique. Et je me délecte de chaque moment. Bientôt elle partira.
On m’a écoutée. Et comprise. Que j’ai failli en pleurer. Non, l’histoire de mon écho ratée n’était pas une peccadille. Il m’a dit : « Vous êtes frustrée, je vais vous en prescrire une autre ». Je lui aurais sauté au cou. Et en prime, elle a pu voir son filleul. Flou, mais pas mal. Sa tête contre ma vessie. Pipi.
J’ai eu des colères. Des envies de faire mal. Un petit cœur brisé. Un « fais-nous rêver » mal digéré. Un mensonge soupçonné. L’impression qu’il faut toujours se battre. Pour avoir le droit, pour exister, pour que merde, on m’écoute. Des sanglots dans la voiture, une maman absente mais bien là, merci. Un papa beaucoup moins. Une famille saine, une autre pas. De la bonne humeur, des fous rires en cascade. Une complicité féminine. Un joyeux trio. Et puis de l’autre côté un brin d’acharnement et beaucoup d’orgueil. Une souffrance narcissique et contagieuse.
« Jojo » en boucle jusqu’au sommeil. Un moment à deux, dans le noir. Un amoureux tout doux. Un « pourquoi tu fais la tête » qui voulait peut-être dire pardon. Une humiliation. Des scenarii de vengeance. J’ai cédé pourtant. Envolée mon assurance « alors là il va payer ». Il a suffi de ses lèvres sur les miennes et son nez dans mon cou. La peur au ventre, subite, inconnue et irrationnelle. Et s’il lui arrivait quelque chose ce soir ?
Une plage paradisiaque, ma solitude, des figuiers, des galets, une calanque, et un arbre au pied duquel autrefois nous avons fait l’amour.